Itinéraire 9 : A travers le Grand Canyon
Voyageurs, du haut de ce canyon cinquante mille siècles vous contemplent. Si Napoléon était venu là, il aurait traversé sans combattre les paysages uniques à la découverte desquels nous vous convions. Les gorges du Verdon valent bien de s’éloigner de la mer.
Nulle voie de Provence n’est impénétrable. Pas même la région du Verdon réputée si sauvage, où les routes suivent les lacs et parcourent les grands plateaux avant d’onduler sous le vent aux sommets vertigineux des gorges. Partagé entre Var et Alpes-de-Haute-Provence, ce vaste territoire (pré) historique a été classé Parc Naturel Régional. Reconnaissance éternelle ! Suivez-y le guide sur sa Kawasaki GTR. Nous prendrons le village d’Aiguines comme point de départ. On arrivera du sud depuis la berge orientale du lac de Sainte-Croix. Au terme de la rive gauche, nous parcourrons ensuite la droite qui arrive de Castellane.
Très vite, la route de crête longeant la Corniche Sublime donne toute son ampleur au site. Au fond, coule le Verdon. Se pencher pour l’apercevoir, jusqu’à 800 mètres plus bas, noue irrémédiablement les tripes. En été, à moins d’être suicidaire, il faut évider de s’arrêter en bordure de la route étroite et fréquentée. Des points de vue sont prévus à cet effet. On pourra abandonner la moto et se lancer, avec des chaussures adaptées, dans une des marches indiquées sur les panneaux de bois. A quelques km, les moins téméraires s’émerveilleront de ceux qui, surmontant leur peur, se jettent élastique aux pieds du célèbre Pont de la Mariée (80 m). Juste avant de bifurquer vers Trigance par la D90, les balcons de la Mescia offrent une vue panoramique sur la vallée élargie. Perché tel un nid d’aigle avec ses maisons serrées, ce village provençal typique nous entraîne sur la D955 pour accoster la rive droite du Verdon. C’est le chemin à l’envers. Nous roulons d’abord à fleur d’eau sur une route souvent frayée dans la roche. Ambiance Jurassique ! Les premiers tumultes désignent la limite navigable pour les canoës partis de Castellane, 20 km en amont. Sur l’asphalte, le bout droit le plus long n’excède pas 100 mètres. On distingue le façonnage de l’eau sur les parois abruptes. Jusqu’au Point Sublime, les départs de randonnées foisonnent. On s’y arrête pour admirer le vaste spectacle. Puis la route s’éloigne des gorges désormais moins serrées.
Avant d’atteindre la Palud, il faut faire la boucle de 22 km par la route des Crêtes à travers une forêt de chênes aux tonalités changeantes. Sur le passage, un ranch propose des balades à cheval. Le tracé s’élève encore au-dessus du canyon. C’est l’occasion de poser sur l’un des belvédères. Ne jetez jamais de pierres, car des sentiers passent en contrebas, très bas. En face, on aperçoit une enfilade de tunnels sur l’autre rive. Au refuge des Malines, il est possible de s’attabler ou attendre la Palud, après l’élevage des lamas, pour se restaurer enfin. En approchant du lac, la route suit les méandres du Verdon. A chacun de ses détours, on voudrait immortaliser d’un clic le paysage en 3D. On pourra y revenir, car les gorges ne sont pas près de changer. Mieux, elles subsisteront longtemps après nous ! Parfois, quand c’est possible des paysans cultivent quelques parcelles fertiles. Dès lors, les premiers champs de lavande apparaissent. 8 km avant Sainte-Croix, on surplombe les eaux turquoises redevenues navigables par les pédalos puis, en débouchant d’entre deux éperons rocheux encadrant la route, l’immense lac découvrant ses berges de sable blanc. Le tracé perd de l’altitude jusqu’à atteindre la rive. A 3 km sur la droite, la cité touristique de Moustier est la capitale de la faïence. Immanquable ! Après une courte incartade sur une voie à (plus) grande circulation, prenons très vite la direction de Sainte-Croix par sous l’ombrage des pins.
Vision de rêve, de l’autre côté du lac Moustier, adossée à sa paroi, donne toute sa mesure. Au prix de multiples et merveilleux lacets, nous débouchons maintenant sur le plateau de Valensole, envahi de lavandes bleues l’été. C’est un ravissement pour la vue, autant que pour l’odorat. Les champs s’étendent à perte de vue. Vous flotterez en roulant dans leur parfum enivrant avant que votre regard plonge sur le merveilleux village de Sainte-Croix. En quittant la D111, la D3 qui se dirige vers Motmeyan découvre au passage la face cachée du barrage, au pied duquel coule un simple ruisseau. Baudinard est une crèche provençale. Après de longs bouts droits vallonnés, Fox-Amphoux annonce Sillans-la-Cascade où il faudra poser pieds à terre pour visiter… à pieds, une cascade et ses vasques insoupçonnées en ces contrées. Encore de jolies petites routes jusqu’à Villecroze, l’un des plus vieux villages du Var, puis Tourtour par une petite route bordée de chênes verts. Un petit tour dans Tourtour permet de découvrir sur 180° la plaine qui s’étend sous le village classé parmi « les plus beaux de France ». Un verre sous les platanes de la grande place et c’est Ampus qui met son clocher en exergue avant Chateaudouble, autre village panoramique. Les panneaux indiquent la petite route étroite qui va sur Calas comme « Dangereuse », nous, nous dirons qu’elle est simplement « très belle ».
Encore un clocher, encore des toits de tuiles claires : avec Callas et Bargemon, la succession des villages perchés continue. Avant Bargème, la route qui traverse une épaisse forêt rappelle que le Var est le département le plus boisé de France. Un panneau encourage à monter des pneus neige en hiver. D’ailleurs, il paraît que le temps change vite ici ! Après une chaussée inégale, la route s’agrandit. Nous sommes sur le plateau de Canjuers, renommé pour ses grandes manœuvres. Dans ce désert minéral où ne pousse que la garigue, les pistes de chars traversent parfois la route. Un convoi militaire nous croise, que regardent passer des chèvres. Sans qu’on sache vraiment pourquoi, l’endroit a un quelque chose d’Irlande… ou de Larzac ! Les premières gouttes s’écrasent sur le pare-brise de la moto. Rapidement, elles se transforment en grêle ; et pas un arbre pour s’abriter ! Au bout de la D25, Bargème fait payer son appellation « Plus beau village de France » par un indispensable crochet. Reprise des hostilités et direction Comps pour un retour vers Aiguines en empruntant, si le cœur vous dit et votre timing le permet, une nouvelle fois la rive gauche du Verdon. Toute une histoire.